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MUSIQUE DU MOYEN ÂGE

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Bon gré, mal gré, les historiens de la musique se sentent tenus d’adopter pour leur discipline les cadres imposés par une tradition bien implantée selon laquelle est appelée Moyen Âge la longue période de dix siècles comprise entre la dislocation de l’Empire romain (prise de Rome par Alaric Ier en 410 et chute de l’Empire romain d’Occident en 476) et la dernière partie du XVe s.

Pour les uns, la date charnière entre le Moyen Âge et les temps nouveaux est 1453, à la fois fin de la guerre de Cent Ans et, du fait de la chute de l’Empire romain d’Orient, fin de cette grande illusion qu’avait été le rêve plus ou moins avoué d’une hypothétique restauration de l’Empire romain. Pour d’autres, c’est 1492, avec la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, ou 1494, avec le début des guerres d’Italie.

Or, si, en musique, on peut déjà difficilement admettre que le Ve s. constitue un point de départ, il est encore plus difficile d’accepter la fin du XVe s. comme terme d’une esthétique. Car, même si, à certains points de vue, une évolution se manifeste à la lisière entre le XVe et le XVIe s., une transformation beaucoup plus sensible encore s’opère au seuil du XVIIe s., et radicale cellelà, tant dans le mode d’expression (la monodie accompagnée supplante alors la polyphonie), dans la naissance d’un sentiment harmonique (accompagnement en accords avec chiffrage d’une basse) que dans la destination même de la musique (c’est à ce moment que s’impose définitivement la musique dramatique).

Le temps est révolu où l’on considéraitle Moyen Âge comme monolithique, en englobant tous les siècles qui précédaient la Renaissance dans un même mépris. Le XIXe s. a beaucoup contribué à faire renaître le goût pour cette période et en a commencé, parfois maladroitement, la restauration. Le XXe s., qui en poursuit la prospection systématique et favorise ainsi une connaissance moins passionnelle, permet enfin de distinguer des périodes brillantes comme des heures plus sombres. Le Moyen Âge musical, très long, est naturellement fort divers. À l’intérieur même de ce Moyen Âge, on distingue aujourd’hui une période de renaissance et un style classique, que pour la commodité on appelle siècle de Saint Louis.

Si les limites historiques sont malaisées à déterminer, il en est de même des limites géographiques. Et s’il reste vrai que ce sont les pays d’Europe occidentale qui constituent la terre d’élection du développement musical (Italie, Espagne, Angleterre, Irlande et surtout France), on sait désormais que dans bien d’autres régions existait une vie musicale aujourd’hui mieux connue et que préciseront dans quelques décennies les études en cours : c’est le cas de pays comme l’Allemagne orientale, la Pologne et les pays scandinaves.

Le bilan musical de ces dix siècles est loin d’être identique, du seul fait que les documents écrits ne remontent pas au-delà du milieu du IXe s. ; encore s’agit-il là de documents qui ne peuvent être déchiffrés que grâce à des manuscrits postérieurs. La notation neumatique, apparue vers 850, n’indique que les accents musicaux, mais ne se soucie pas des intervalles. Il faut, pour la période antérieure, se contenter de descriptions plus ou moins précises et de documents liturgiques où allusion est faite au chant d’église (jusqu’au XIIe s., la musique notée n’est que religieuse ou parareligieuse).

C’est ainsi que nous connaissons mieux l’histoire de la formation du répertoire appelé à tort chant grégorien que l’état de ce chant durant le Ier millénaire. On sait que, dès les premiers temps de la chrétienté et dans toutes les régions christianisées de l’Empire romain, on utilisa des chants pour les réunions de fidèles, à l’image de ce qui se pratiquait à la synagogue. D’uniformité, il n’était pas question. Les initiatives disparates firent sans doute ressentir à Rome le besoin d’élaborer des cadres qui pussent lutter contre les essais de féodalité. Ce fut l’oeuvre de saint Grégoire le Grand, pape de 590 à 604. Mais, malgré les efforts de centralisation, les apports dans le chant d’église sont multiples, et l’on parle aujourd’hui de chant vieux-romain, milanais, byzantin, gallican, mozarabe, etc.

On ne peut prétendre que l’apparition d’une notation musicale suffise à déterminer un changement d’ère, et cela d’autant moins que les manuscrits que nous possédons sont moins le reflet de l’époque à laquelle ils ont été écrits que l’écho d’époques antérieures et qu’ils traduisent le désir de fixer par écrit une tradition orale déjà longue.

D’une tout autre importance est l’avènement de la polyphonie, dont les premiers témoignages sont, eux aussi, du IXe s., mais dont les premières réalisations artistiques remontent au XIIe s. La polyphonie ne sonne pas le glas de la production musicale monodique, qui se poursuivra longtemps encore, mais elle déplace vers elle le centre d’intérêt.

Sauf pour les premiers essais, qui semblent bien n’être que l’analyse consciente d’un phénomène inconscient (le fait de chanter à la quarte ou à la quinte), elle n’est pas essentiellement différente de la monodie, en ce sens qu’elle consiste non pas à écrire un accompagnement, mais à superposer des lignes. J. Samson l’a très justement nommée polymélodie. D’autre part, rien ne prouve que la monodie religieuse ou profane n’ait été pourvue d’un accompagnement improvisé, fût-il rudimentaire

L’histoire de la polyphonie depuis le XIIe s. jusqu’au début du XVIIe n’est qu’une longue et insensible transformation interne dont nous allons signaler les principales étapes.

La première est celle des XIIe et XIIIe s., qui voit en France et en Angleterre l’éclosion subite d’un grand genre, l’organum, dans lequel le chant grégorien, appelé alors teneur parce que la valeur de chacune des notes est allongée, sert de base à une, à deux ou parfois à trois voix dites organales, écrites en valeurs brèves. Du fait de la superposition de plusieurs lignes, la notion de mesure s’impose — alors que le chant grégorien en était dépourvu — et provoque l’élaboration d’un système de notation où les figures ont, en fonction de leur disposition, une valeur déterminée. De l’organum naît le motet par l’adaptation des paroles aux vocalises des voix supérieures.

On trouve aussi à cette époque des conduits polyphoniques, en général strophiques, qui présentent la particularité d’être écrits sans prendre appui sur un motif emprunté. De ces trois formes à l’origine religieuse, seul l’organum le restera. Les deux autres deviendront de plus en plus profanes, surtout dans la seconde moitié du XIIIe s. C’est le moment aussi où la polyphonie commence à s’intéresser à un domaine purement profane, celui de la chanson, avec le rondeau polyphonique, dont le premier grand compositeur est Adam de la Halle.

À partir des années 1320, une évolution se manifeste, liée aux perfectionnements obtenus en matière de notation. Des possibilités nouvelles s’ouvrent aux compositeurs, surtout dans la rythmique, dont la complexité ira en grandissant durant tout le siècle. La suffisance des promoteurs de ces nouveautés (Philippe de Vitry) pousse ceux-ci à dénigrer la période précédente, pourtant brillante, qu’ils taxent alors d’Ars antiqua, en nommant la leur Ars nova.

À la complexité des rythmes élémentaires s’ajoute celle des formes, que l’on s’efforce de perfectionner en imposant à chacune des voix des schémas rythmiques (isorythmie). L’organum et le conduit tombent en désuétude, mais le motet et le rondeau, tout en se compliquant, restent des formes très vivantes. La polyphonie en vient même à affecter des genres profanes jusqu’ici monodiques, comme les virelais et les ballades. Quant à la production de musique religieuse, elle nous fait assister à l’élaboration progressive du cadre de la messe en musique avec la fixation des pièces qui seront, dorénavant, traitées polyphoniquement. L’exemple le plus typique est celui de la Messe Notre-Dame à quatre voix de Guillaume de Machaut.

À cette même époque, l’Italie musicale prend son essor. L’Ars nova italienne (le trecento) se distingue de l’Ars nova française par une moins grande recherche de complexité rythmique et plus d’abandon à la musique. Les compositeurs (Francesco Landini) écrivent, eux aussi, des ballades, mais également des madrigaux, des chasses, le tout le plus souvent à deux voix.

Il semble qu’au XVe s. l’art devienne plus international, sans doute du fait de la rivalité franco-anglaise de la guerre de Cent Ans et des prétentions des ducs de Bourgogne, qui attirent à leur cour brillante les artistes tant anglais que flamands et français. D’autre part, le contact avec l’Italie, qui s’était amorcé à la cour pontificale d’Avignon au XIVe s., se poursuit au XVe grâce au rayonnement de la cour romaine, qui devient un pôle d’attraction pour les artistes de tous pays.

Du fait de ces influences réciproques, les outrances rythmiques de l’Ars nova finissante se modèrent, et la polyphonie s’enrichit de consonances nouvelles. Le goût pour le nombre s’estompe, la polyphonie s’assouplit, sans doute grâce à l’Italie, et la tierce, réputée consonance imparfaite sur le continent, mais pratiquée en Angleterre, fait son apparition et introduit dans le tissu polyphonique une douceur très nouvelle.

Les formes musicales ne subissent pas d’évolution fondamentale. La messe devient la forme religieuse la plus importante ; à ses côtés prend place le motet, redevenu religieux. Quant à la polyphonie profane, le plus souvent rondeau ou ballade, elle est en général à trois voix et peut recourir aux instruments.

Ainsi, à l’époque de Dufay et d’Ockeghem, est donc déjà créée cette polyphonie, profane ou religieuse, qui s’épanouira à l’époque de Josquin Des Prés et de Palestrina : tant il est vrai qu’entre Moyen Âge et Renaissance il n’existe point de solution de continuité.

Parallèlement à la polyphonie, la monodie a poursuivi une carrière profane qu’il serait injuste de ne pas évoquer. Cette production s’étale sur un peu plus de deux siècles : ce sont en France les troubadours (de la fin du XIe s. au début du XIIIe), puis les trouvères (de la seconde moitié du XIIe s. à la fin du XIIIe), en Allemagne les Minnesänger (du XIIe au XIVe s.) et en Espagne les auteurs des Cantigas de Santa Maria, compilées au XIIIe s. Tous sont à la fois poètes et musiciens.

Il est très délicat de parler pour le Moyen Âge de musique instrumentale. On a longtemps omis de le faire, parce que les règlements ecclésiastiques n’étaient guère favorables à l’utilisation d’instruments à l’église, que les manuscrits de musique polyphonique comportaient très souvent des paroles à toutes les voix et qu’enfin peu nombreuses étaient les oeuvres sans paroles.

Or, on sait aujourd’hui que l’usage des instruments était très répandu même à l’église et que la variété de ces instruments était extrême. Comment donc étaient-ils employés ? La pratique la plus courante était de doubler les voix pour les soutenir et non de les remplacer; d’autre part, même s’il est possible de déterminer des groupements habituels d’instruments, l’orchestration au sens moderne du terme était totalement ignorée ; enfin, si des pièces ont été destinées aux instruments seuls (il en existe dès le XIIIe s.), si des chansons ont pu comporter des préludes ou interludes instrumentaux (c’est le cas des chansons du XVe s.), il n’est pas exclu que des pièces avec paroles aient pu être jouées aux seuls instruments, notamment dans le cas des danses, auxquelles on adaptait parfois des paroles.

Dans "La Grande Encyclopédie Larousse", France, Libraire Larousse, 1971. Numérisée, adapté et illustré par Leopoldo Costa.

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